«Toute loi physique doit posséder une beauté mathématique»

Publié le 6 Septembre 2012

Paul Dirac et Richard Feynman en pleine discussion sur leurs travaux communs

Paul Dirac et Richard Feynman en pleine discussion sur leurs travaux communs

Pour ce premier article nous avons réuni un trio gagnant: un grand scientifique, une découverte mathématique remarquable et un terme faisant rêver les profanes : Paul Dirac et la découverte de l’Antimatière.

Hum, l’antimatière … Comment se représenter ce concept aussi étranger du quotidien ? L’opposé du consistant ? Le vide ? Non l’opposé de 1 n’est pas 0 mais -1 … Pour comprendre ce concept revenons un siècle en arrière.

Notre histoire commence le 8 août 1902 en Angleterre, à la naissance du petit Paul Dirac.

Très jeune, Paul Dirac montre de grandes capacités en sciences fondamentales. Il rédige 11 articles pendant sa thèse (qui peut encore s’en vanter de nos jours ?). Il excelle non seulement dans de nombreux domaines de la physique mais aussi en mathématiques.

Le début du siècle est une époque très connue dans le domaine de la physique car on assiste à la naissance des grandes théories de la physique moderne, notamment la relativité générale (et restreinte) d’Einstein et la théorie atomique (0) moderne : mécanique quantique et statistique. Ces deux théories restent, jusqu'aux travaux de Dirac, imperméables l’une de l’autre. L’équation connue sous le nom de Equation de Dirac (1) est la clé de voûte reliant la relativité restreinte (représentée par l’équation de Klein-Gordon) et la mécanique quantique (représentée par l’équation de Schrödinger).

L’équation de Dirac permet de déterminer les niveaux (états) d’énergie d’un électron (2) dans un atome, autrement dit l’intensité avec laquelle les électrons sont liés au noyau. Elle présente en outre une particularité étrange : sa résolution amène à deux paires de solutions : l’une correspondant aux état d’énergie positifs bien connus des électrons, et l’autre totalement exotique pour l’époque : une infinité d’états d’énergie négatifs … Difficilement concevable et presque inacceptable d’un point de vue réalité physique pour les scientifiques de l’époque.

Pour mieux sentir le problème, simplifions-le : des électrons occupant des états d’énergie positifs sont « normaux ». En effet, en vertu d’une célèbre loi d’Einstein, ce qui est de la « matière » possède une énergie positive (E=Mc2). Donc le « rien » ou plutôt le vide, est représenté par une énergie nulle.

A quoi correspondent alors ces états d’énergie négatifs? L’équation de Dirac étant correcte, les solutions doivent avoir un sens physique!

De plus le principe d’exclusion de Pauli (3) nous affirme que ces états d’énergie inférieures doivent être occupés (par des particules de charges (4) opposées et de masse et spin (5) identiques à celles considérées).

Alors où sont ces particules ? Dirac proposa une solution pour le moins géniale : ces états d’énergie négatifs sont occupés par des électrons « virtuels ». Cette étendue virtuelle et inaccessible d’électrons est appelée la Mer de Dirac. Lorsqu’un électron s’échappe de cette mer, il apparaît un « trou » d’énergie négative dans cette mer, visible dans la réalité par une particule d’énergie positive.

Pour mieux comprendre, prenons un exemple plus accessible à l’imaginaire : un bloc d’or. Lorsque je réalise une pièce d’or à partir de ce bloc je vais avec ma machine extraire un petit cylindre de ce bloc et créer ainsi un trou. Pour le bloc qui correspond à la mer de Dirac, le trou est un état d’énergie négatif vide qui se manifeste par la présence d’une pièce dans ma main, autrement dit la particule d’énergie positive dans notre réalité. Paul Dirac prédit ainsi, en 1931, l’existence d’un anti-électron : une particule d’énergie positive, ayant la même masse que l’électron, de spin ½ et de charge +e.

Surprenant non ? Les physiciens de l’époque n’accordèrent pas beaucoup de crédit à cette explication. Pourtant la découverte théorique de Dirac se révéla exacte.

Carl Anderson, en coopération avec Millikan, étudiait les particules issues de l’espace et tombant sur la Terre. A l’aide d’une chambre de Wilson (machine pour analyser les particules) placée dans un champ magnétique homogène, il observait les trajectoires courbées d’une part et d’autre de la lame de plomb, des particules , suggérant ainsi le signe de leur charge (dans un sens ou l’autre des particules chargées). Sur une photo il découvrit deux trajectoires courbées similaires mais dans deux sens opposés, l’une appartenant à un électron et l’autre suggérant… un anti électron. La particule prédite par Paul Dirac! Ainsi Anderson avait, au cours de l’été 1932, baptisé cette antiparticule le positron. Dirac avait raison!

En physique, on explique la création de paires d’électrons-positrons par une transformation spontanée d’un photon (6) (grain de lumière) en ces dernières. Pour cela, il est nécessaire que le rayon gamma (c’est-à-dire le photon avec une énergie importante) possède une énergie au moins égale à la somme des énergies au repos des deux particules.

La réaction inverse est possible : c’est la réaction d’annihilation transformant la paire en photons contraires.

Les créations de paires de matière-antimatière sont un phénomène commun dans l’Univers grâce à la radioactivité. Par exemple la radioactivité β+ (7), autorise un proton (8) à se transformer en neutron (9) en émettant un positron ainsi qu’un neutrino (10).

Grâce à des spectrographes (11) étudiant les rayons cosmiques, nous avons pu constituer la carte complète de certains rayons gamma caractéristiques de l’annihilation matière-antimatière. Cette carte nous monte que la Galaxie produit en permanence plus de 16 milliards de tonnes par seconde de positrons, issus de son disque équatorial (20%) ou de son centre (80%).

DIRAC travaillait toujours en grande collaboration avec ses contemporains, parmi eux Heisenberg qui avait une légère avance d’un point de vue scolaire et qui par conséquent écrivit des articles sur lesquels Dirac travailla. Nous pouvons aussi citer Bohr, une personne qui tenu le rôle de mentor ; Schrödinger avec qui il obtint le prix Nobel en 1933 pour « La Découverte de formes nouvelles et utiles de la théorie atomique ». Il influença énormément Feynman qui repoussa les limites de la théorie de DIRAC par la suite.

Le succès de ses théories lui permit de revenir à l’université de Cambridge, où il avait préparé sa thèse avec le Dr Fowler, mais cette fois-ci en qualité de « Professeur Lucasiens », siège qu’il occupa de 1932 à 1969.

Il mourut en 1984 en ayant légué à la science plus de 200 articles couvrant aussi bien les domaines des mathématiques, de la mécanique statistique, quantique, relativiste. Sa prédiction théorique de l’antimatière est un exemple parfait de découvertes mathématiques pouvant précéder les découvertes physiques observationnelles. On lui doit cette célèbre phrase : « toute loi physique doit posséder une beauté mathématique »…

Notes :

0. ATOME: entité composée d’un noyau (assemblage très compact de protons et de neutrons) et d’un nuage périphérique composé d’un cortège d’électrons.

1. EQUATION DE DIRAC: Ici

2. ELECTRON: particule élémentaire légère, de charge électrique négative, entrant dans la composition des atomes.

3. PRINCIPE D’EXCLUSION DE PAULI: les électrons occupent de préférence les états d’énergie les plus faibles, c’est-à-dire les états leur permettant d’être fortement liés au noyau. En outre ils ne peuvent être plus d’un par état.

4. CHARGES ELECTRIQUES: propriété physique intrinsèque des particules élémentaires leur permettant d’interagir sous une force appelée la force électromagnétique. Il existe deux types de charges : charge positive et charge négative. La charge élémentaire est représenté par la lettre e auquel on ajoute un signe suivant le type (positif ou négatif) de la charge.

5. SPIN: propriété intrinsèque des particules, analogue mais non identique au concept de rotation sur soi même.

6. PHOTON: grain élémentaire de lumière, et plus généralement de rayonnement électromagnétique, la lumière n’étant qu’une des formes de ce dernier. Sa masse est nulle.

7. RADIOACTIVITE: réaction de désintégration d’un atome possédant un noyau lourd, libérant de l’énergie et des particules élémentaires.

8. PROTON: un des constituants du noyau atomique avec le neutron. Il possède une charge électrique positive.

9. NEUTRON : un des constituants du noyau atomique avec le proton. Il est de charge électrique nulle.

10. NEUTRINO : particule très légère interagissant très peu avec la matière.

11. SPECTROGRAPHE : Appareil permettant de décomposer la matière en ses différentes couleurs.

Références bibliographiques :

- PAUL DIRAC par Cambridge University Press

- Physique de Eugène Hecht

- Wikipédia

- conférence de Ch. Chatelain sur l’introduction à l’équation de Dirac

- Définitions issues pour la plus part de Petit voyage dans le monde des quanta de Etienne Klein

Rédigé par Édoué DouéDoué

Publié dans #Physique

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